Les scientifiques appellent « point de bascule » un seuil critique qui, lorsqu’il est franchi, entraîne des changements importants et souvent irréversibles dans un système. Pour le climat ce sera par exemple la destruction de la forêt amazonienne ou la fonte de l’Arctique. Chaque basculement aura des conséquences irréversibles qui menacent l’équilibre planétaire.

Plusieurs points de bascule inquiètent particulièrement les chercheurs.

Le rapport 2023 de l’EHS (Institut pour l’Environnement et la Sécurité humaine de l’ONU) ‘Interconnected Disaster Risks’ (les risques de catastrophes interconnectés )se concentre sur six points de bascule interconnectés, représentant des risques immédiats et croissants à travers le monde :

a) accélération des extinctions
b) épuisement des eaux souterraines
c) fonte des glaciers de montagne
d) débris spatiaux
e) chaleur insupportable
f) un avenir non assurable

Le rapport de l’EHS a fait l’objet d’une présentation animée agréable à lire, que nous avons traduite en français (traducteur automatique) < hyperlien vers le site -> fichier « UNU-tipping points fr » et en néerlandais « < UNU-tipping points nl ».

Il explique : Les systèmes qui nous entourent sont étroitement liés à nous : écosystèmes, systèmes alimentaires, systèmes hydriques, etc. Lorsqu’ils se détériorent, il ne s’agit généralement pas d’un processus simple et prévisible. Au contraire, l’instabilité s’installe lentement jusqu’à ce qu’un point de basculement soit soudainement atteint et que le système change fondamentalement, voire s’effondre, avec des conséquences potentiellement catastrophiques. « Alors que nous extrayons sans discernement nos ressources en eau, que nous endommageons la nature et la biodiversité et que nous polluons la Terre et l’espace, nous nous rapprochons dangereusement de multiples points de basculement qui pourraient détruire les systèmes mêmes dont notre vie dépend », déclare Zita Sebesvari, auteur principal du rapport et directeur adjoint de l’UNU-EHS. « Du coup, nous perdons également certains de nos outils et options pour faire face aux risques de catastrophes à venir ».

En même temps, des études scientifiques se consacrent à certains points de bascule dont la proximité est jugée inquiétante pour tenter d’identifier des indicateurs permettant de suivre leur évolution et d’anticiper les possibles moments d’effondrement. Deux exemples de points de bascule récemment étudiés ci-dessous.

  1. L’inversion des courants marins

La circulation méridienne de retournement atlantique (Amoc) régit le climat de plusieurs régions du globe, dont l’Europe du Nord, qui jouit grâce à elle d’un climat tempéré. Les scientifiques ont établi que le Gulf Stream pourrait devenir instable en raison de deux facteurs liés au réchauffement climatique : le réchauffement de l’Arctique qui entraîne celui de l’eau de la mer et la diminution de sa salinité suite à la fonte de l’énorme banquise recouvrant le Groenland.

En ce mois de juin, l’océan Atlantique a subi des épisodes caniculaires particulièrement forts du sud de l’Islande jusqu’en Afrique, avec des anomalies de températures de plus de 5 °C au large des îles britanniques. «Du jamais-vu» dans cette partie de l’Atlantique nord où la température dépasse les 23 °C. Cette « canicule marine » va provoquer une hécatombe invisible d’espèces marines, selon les scientifiques, mais aussi contribuer au réchauffement global de l’Atlantique Nord et nous rapprocher du point de bascule de la circulation méridienne de retournement.

Des études paléoclimatiques montrent que cette circulation a déjà été instable dans le passé, entraînant certains des changements climatiques les plus spectaculaires et les plus abrupts que l’on connaisse. Or il semble que l’AMOC serait actuellement dans son état le plus faible depuis plus d’un millénaire[1].

Début 2024, des chercheurs ont développé un signal d’alerte précoce observable basé sur la physique du basculement de l’AMOC : le minimum du transport d’eau douce induit par l’AMOC à la frontière sud de l’Atlantique. Les résultats de l’analyse de ce signal indiquent que l’AMOC actuel est sur le point de basculer. Ce qui amène des chercheurs de l’Université de Copenhague à estimer qu’il y a 95 % de chances pour que celle-ci s’effondre entre 2025 et 2095, avec une probabilité encore plus forte dans 34 ans, soit en 2057 ().

Ce basculement serait très violent, modifiant profondément le climat et le niveau des eaux dans tout le pourtour atlantique, du Nord au Sud, précipitant entre autres l’Europe du climat tempéré que nous connaissons dans un climat froid que l’on connaît aujourd’hui par exemple au Canada. Ce basculement serait irréversible en raison de l’inertie des mécanismes qui règlent la température et la salinité des mers.

Pour aller plus loin :

       The Atlantic Overturning Circulation[36] – Trad. en FR (mais avec une mise en page perturbée))

  1. La fonte de la calotte antarctique

La fonte des calottes glaciaires est probablement largement sous-estimée, affirme une étude publiée ce mardi 25 juin dans la revue «Nature Geoscience». Car l’eau de mer, désormais plus chaude à cause du changement climatique, s’infiltre sous les glaces terrestres, accélérant leur disparition.

Des études récemment publiées sur l’hydrographie complexe des zones d’échouage (c’est-à-dire où la transition entre la glace échouée et la glace flottante se fait) montrent que l’eau chaude de l’océan peut pénétrer sur de grandes distances sous la calotte glaciaire et par conséquent déclencher une fonte accélérée de celle-ci. Des chercheurs ont développé un modèle pour simuler ce mécanisme.

Ils ont découvert que lorsque la zone d’échouage s’élargit en réponse à la fonte, la température et la vitesse d’écoulement augmentent, ce qui renforce encore la fonte.

Le point de basculement est celui au-delà duquel l’eau de mer pénètre de manière illimitée sous la calotte glaciaire par un processus de fonte incontrôlée. Les auteurs soulignent qu’ils n’ont pu examiner l’ensemble des variables qui déterminent cette pénétration de l’eau de mer sous la calotte antarctique.

La rapidité avec laquelle ce point de basculement pourrait être atteint demande donc des recherches supplémentaires pour être estimée. A ce stade il semble en tous cas que les prévisions du GIEC en la matière sont à revoir, ce qui bouleverserait fondamentalement l’ensemble de celles-ci.

[1] L. Caesar, G. D. McCarthy, D. J. R. Thornalley, N. Cahill, S. Rahmstorf, Current Atlantic meridional overturning circulation weakest in last millennium. Nat. Geosci. 14, 118-120 (2021)