Avez-vous déjà vu, à la campagne après de fortes pluies, ces coulées de terre limoneuse qui recouvrent la route et vont grossir les rivières ? Eh bien, ces ravinements sont une catastrophe écologique. Et elles ont tout à voir avec les méthodes de l’agriculture productiviste censée assurer notre alimentation.
En réalité, ces coulées sont une plaie : elles entraînent dans le réseau d’égouts ou de rivières des tonnes de terre arable et fertile, arrachées à la couche cultivable par l’eau et le vent. Cette terre de surface, tassée par le passage incessant d’engins lourds, n’absorbe plus l’eau qui dès lors ravine en entraînant avec elle ce que la terre renferme encore de nutriments. Pour y cultiver à nouveau, de grosses doses d’intrants chimiques seront nécessaires.
Résilience des écosystèmes agricoles
Jadis, les haies séparant les parcelles coupaient le vent, et les fossés recueillaient l’eau de pluie en préservant la couche fertile et sa vie intérieure, les vers de terre notamment, fertiliseurs naturels désormais inexistants. Comme on le sait, les haies ont été arrachées et les fossés comblés pour permettre le passage sans entrave de machines de plus en plus sophistiquées. Le résultat est là : une terre exsangue, rendue cultivable par des quantités d’engrais astronomiques.
L’agriculture régénérative sera-t-elle la voie du salut pour rendre à notre agriculture un socle vertueux ? Elle propose des pratiques permettent la régénération et la santé des sols, et se positionne comme l’une des solutions aux futurs défis agricoles. Alors que l’agriculture biologique peut se définir comme étant une pratique de non-utilisation de pesticides et d’herbicides, l’agriculture régénérative vise, elle, à renforcer la résilience des écosystèmes agricoles en mettant la santé du sol à l’honneur.[1] Mais soyons clairvoyants : cette méthode ne s’applique, à l’heure actuelle, qu’aux jardins et potagers de quelques pionniers boostés par une influenceuse à la main verte.[2]
Remettre en question les certitudes
En Belgique, 44% du territoire est consacré à l’agriculture. Il importe que celle-ci puisse survivre mais aussi, puisse offrir des produits de bonne qualité nutritive, sains et offrant aux paysans une juste rétribution de leur travail. Mais avant toute chose, il faudra prendre le virage draconien de l’abandon du modèle productiviste chimiquement assisté pour adopter une agriculture paysanne à haute valeur ajoutée.
L’agriculture régénérative vise à restaurer la biodiversité pour mieux capter le carbone dans les sols, les haies, le végétal et l’élevage extensif qui augmente les prairies et diminue l’élevage intensif (70 % du CO2 du secteur agricole). Peu de candidats aux élections suggèrent ce « shift » dans leur programme, tant il demande de remettre en question les certitudes ancrées dans l’idéologie agricole héritée du Plan Marshall de 1948. Il ne semble pourtant exister aucune autre issue à l’impasse actuelle de la course en avant, subventionnée par la PAC de l’UE.[3] Et ce, malgré la mise en place par l’Europe d’éco-régimes transitoires incitant l’ensemencement de cultures favorables à l’environnement, au climat et à la biodiversité.[4]
On voudrait y croire, mais quand on voit la puissance d’inertie d’un puissant syndicat agricole résolument prêt à tout pour s’opposer au changement (la FNSEA française), on se dit que chaque petit pas compte mais qu’il en faudra beaucoup pour sauver ce qui peut encore l’être avant qu’il ne soit trop tard.
YK
[1] RTBF, 18 oct. 2023 – http://L’agriculture régénérative : une méthode qui se répand en Belgique et qui sera utile pour le futur – rtbf.be
[2] Mélanie Guisset, https://www.rtbf.be/article/melanie-guisset-une-amoureuse-de-la-nature-rejoint-lequipe-de-jardins-loisirs-11165387
[3] PAC : Politique agricole commune, c.à.d. le subventionnement de l’agriculture par l’Europe selon une répartition qui favorise les grandes exploitations hautement mécanisées et biberonnée aux produits chimiques : engrais, pesticides, insecticides, etc.